La Croatie convoite les hydrocarbures de l’Adriatique
Cinq compagnies pétrolières ont reçu l’autorisation d’explorer les fonds marins. Les écologistes ripostent. Les côtes croates de la mer Adriatique, qui attirent chaque année des centaines de milliers de touristes, vont-elles bientôt se couvrir de plateformes gazières et pétrolières? Le gouvernement croate a autorisé cinq consortiums pétroliers à lancer des prospections sur le plateau continental, même si la rentabilité du projet semble très incertaine. Au-delà des ruelles étroites du centre de la ville de Pula, tout au sud de l’Istrie, les grues du chantier naval Ugljanik dépassent des vieux bâtiments vénitiens. Dusica Radojčić, la présidente de l’organisation écologiste Istrie verte, s’en désole. La jeune femme est à la pointe de la mobilisation contre les projets de prospections et d’exploitation des hydrocarbures. «Il y a quelques mois, d’après les enquêtes, la majorité des Croates étaient favorables aux forages, en faisant confiance aux arguments économiques du gouvernement. Mais nous multiplions les réunions d’information et l’opinion publique bascule. Les pécheurs et les professionnels du tourisme sont les premiers à avoir pris conscience du danger.»
Sept milliards de barils
Le 2 janvier, le gouvernement de Zagreb a dévoilé la liste des pétroliers qui pourront explorer durant cinq ans les fonds marins de l’Adriatique: l’entreprise croate INA, le groupe autrichien OMV, l’américain Marathon Oil, l’italien ENI et le britannique Med-Oil-Gas. Dix sites d’exploitation de 1000 à 1600 kilomètres carrés ont été attribués le long des côtes croates. Ces zones doivent être distantes de dix kilomètres des côtes continentales, et de six kilomètres des îles. L’existence de gisements fossiles est connue de longue date. L’Italie et la Yougoslavie ont commencé à exploiter le gaz naturel du nord de l’Adriatique dès les années 1960, et douze plateformes gazières sont toujours actives au large de l’Istrie. Les hauts-fonds marins recèleraient aussi du pétrole, plus au sud, à proximité de Dubrovnik et des parcs naturels des îles de Mljet et de Lastovo, tout comme des côtes d’Albanie et du Monténégro. Ce dernier pays, bien décidé à lancer la prospection, évoque l’existence de gisements pétroliers au large de la péninsule de Prevlaka et des bouches de Kotor – on a parlé de réserves de sept milliards de barils. «Nous nous opposons à ces projets d’abord pour des questions de sécurité: il y a un risque d’accidents et cela pourrait avoir des conséquences dramatiques pour l’environnement. Même sans accident, une exploitation normale entraîne des nuisances. Il ne faut pas oublier que l’Adriatique est une mer fermée. La moindre pollution peut avoir de lourdes conséquences», explique Bernard Ivčić, de l’ONG Zelena Akija de Zagreb, qui a créé une plateforme d’organisations réunies sous le label «SOS Adriatique». «En Croatie, aucune étude d’impact environnemental n’a été menée. Elle sera à la charge des entreprises concessionnaires, qui minimiseront les risques», s’indigne-t-il.
«Il ne faut pas rêver»
Le gouvernement croate et les industriels de l’énergie balayent ces inquiétudes. Pour eux, le transit de 4000 pétroliers par an, qui longent les côtes croates pour filer vers les grands ports du nord de l’Adriatique, représente un bien plus grand danger que l’installation de quelques plateformes en mer. «Il y a toujours un risque d’accident, reconnaît Igor Dekanić, professeur à la Faculté des mines et du pétrole de Zagreb. Mais l’industrie pétrolière est très expérimentée et peut réduire les risques au minimum. Ce sont les écologistes qui constituent une menace pour l’économie.» Membre de l’Union européenne depuis le 1er juillet 2013, la Croatie est en récession depuis 2008 et présente le plus fort taux de chômage de l’Union après la Grèce et l’Espagne. Tout projet industriel est bon à prendre. Pourtant, Zagreb risque de mettre en danger le tourisme, l’un des piliers de son économie. Bernard Ivčić pense que le pays devrait engager sa transition vers une «économie verte». «Nous ne tirons que 2% de notre énergie électrique du soleil et du vent. C’est un secteur qui pourrait créer beaucoup d’emplois.» Les écologistes soulignent aussi que le gouvernement n’a jamais communiqué d’informations sur les bénéfices réels que Zagreb pourrait tirer de l’exploitation des gisements fossiles. «Il ne faut pas rêver, la Croatie ne va pas devenir une nouvelle Norvège, reconnaît Igor Dekanić. Au mieux, nous pourrions satisfaire nos propres besoins en gaz naturel et peut-être en pétrole.» La plus grande menace qui pèse désormais sur ce projet, estime l’expert, est la chute du prix du pétrole, qui pourrait compromettre la rentabilité des projets croates.
Source : LE TEMPS MONDE Jean-Arnault Dérens